Le Sporting Club Bellevillois s’expose ou… s’explose ?
La chose était dans les tuyaux depuis près d’un an : il fallait marquer le coup des 80 ans du Club en 2021. Non seulement par un rallye particulier, et ce fut le cas le 6 juin dernier à Montreuil sur le thème de la Résistance, mais aussi par une exposition qui retracerait l’histoire du Club depuis sa création en 1941. Et ce, dans le respect des restrictions sanitaires dont personne ne savait ni ne sait encore vraiment quand elles cesseront. On connaît le succès remporté par le rallye du 6 juin.
Quant au projet d’exposition, langue avait été prise avec la Mairie du 20ème dès le mois de février dernier. Le Maire adjoint au Sport du 20ème, Epency Epara Epara, que nous connaissons bien a accueilli avec enthousiasme le projet en proposant de nous réserver le Salon d’Honneur (rien que ça !) dès que les conditions sanitaires le permettraient. En attendant, tout un travail de fourmi s’est poursuivi de plus belle pour construire le projet, enquêter, rechercher, rassembler le plus d’informations possibles alors qu’aucune archive du Club n’a été conservée, solliciter des adhérents actuels et passés le prêt de documents, photos, objets susceptibles d’être exposés ou de servir à la réalisation des textes de présentation, démarcher Codep, Ligue et autres pourvoyeurs de fonds (ah ! combien de courriers et coups de téléphone !) pour tenter d’obtenir quelque financement pour un chantier particulièrement ambitieux pour une mini-poignée de bénévoles.
Mais le jeu en vaut la chandelle. D’abord parce qu’on apprend beaucoup en préparant un tel évènement. Connaître l’histoire du Club, interroger la manière dont les pratiques ont évolué au fil du temps et les raisons qui permettent d’en rendre compte, change la représentation que l’on peut se faire du (dys)fonctionnement actuel du Club. Et c’est un regard plus objectif et apaisé que l’on peut alors porter sur les querelles de personnes.
Car toute l’histoire du Club depuis ses origines est parsemée de querelles de personnes. C’est le propre de toute vie associative. Ce qui fait peut-être (c’est une hypothèse que l’exposition explorera) la différence entre hier et aujourd’hui c’est la capacité des « sociétaires » comme on désignait les adhérents jusqu’au début de ce siècle, à s’identifier à l’association dans leur pratique sportive et à incarner la solidarité entre tous ses membres.
Dans la vie associative, la solidarité est bien plus qu’une valeur morale : c’est sa raison d’être. Et là encore l’histoire de notre Club nous éclaire sur cette exigence. Pendant les années de guerre, il était interdit de pratiquer aucun sport y compris cycliste ou cyclotouriste en dehors d’une organisation. L’association apparaissait alors comme un refuge de la liberté individuelle : on se serrait les coudes face à l’oppression et à la répression. Lorsque les valeurs démocratiques sont revenues et jusque vers la fin du siècle dernier (la réflexion sur les dates est encore en travail pour cette exposition), les valeurs de la pratique associative du cyclotourisme qui s’étaient installées grâce ou malgré le climat dictatorial des années de guerre, sont devenues prévalentes : on choisissait de faire du vélo ou du cyclotourisme en association, à cause de « l’ambiance » ; et on participait activement à créer et préserver cette « ambiance ».
Aujourd’hui c’est encore autre chose : la pratique du vélo s’autonomise grâce aux applications mobile gratuites (Strava et autres Open runner) qui mettent en contact les pratiquants de façon individualisée non contraignante. Dans certains cas (comme les CC) le nombre d’adeptes est tel (+ 5000 CC à Paris) qu’on parle même de “communauté” cycliste. L’« ambiance » que l’on trouve (mais est-ce bien celle qu’on cherche ?) dans cette modalité de pratique collective ménage la liberté de chacun de participer ou non selon ses motivation et disponibilité du moment, sans l’engager d’aucune façon au-delà du temps de la sortie. Exit l’esprit associatif, les vertus démocratiques des droits et devoirs attachés au statut d’adhérent, ses valeurs humanistes et son éthique de responsabilité qui rend individuellement capable de sublimer les divergences de points de vue, de respecter les différences entre les personnes, d’être bienveillants, parce qu’on adhère à l’exigence de solidarité qui est la raison d’être d’une association.
Consumérisme et engagement coexistent et ont toujours existé au sein de l’association ; mais ils ne donnent pas les mêmes droits parce qu’ils ne relèvent pas de la même éthique. Il faut choisir entre deux exigences : liberté avec ou sans responsabilité. Et l’on choisit toujours, même quand on décide de ne pas choisir.
Joëlle Plantier